À quel moment doit-on commencer à pousser notre bébé, quand on accouche? À10cm? Comment « bien » pousser? Et combien de temps ça dure, la poussée? Est-ce qu’on est obligée d’avoir les pieds dans les étriers?
Questions fréquentes lors de rencontres prénatales et ateliers que j’anime. Toute à mon obsession périnatale, j’attire trrrès souvent ce genre de propos dans l’allée de l’épicerie et au pied des toboggans au parc pour enfants, aussi. Mes filles sont habituées 😉 Je me propose donc aujourd’hui de revenir, tranquillement, sur quelques petits détails de la poussée. En connaissant un peu des merveilles du corps de la femme qui accouche, on nourrit notre confiance quand on se prépare à accoucher, on comprend mieux nos expériences…et on peut reconsidérer certaines habitudes. Bien sûr, les propos qui suivent prennent pour fondement un accouchement peu perturbé. Mon intention est de voir un peu comment le corps fonctionne par lui-même.
« À quel moment doit-on commencer à pousser notre bébé? À 10cm? » La dilatation complète signifie que le col de l’utérus est aussi ouvert que la partie la plus large de la tête du bébé. Accessoirement, on a l’habitude d’entendre 10 cm, mais nous comprenons bien que ce n’est pas une mesure exacte. Longtemps, une fois l’exploit accompli ( c’est vrai, que le col s’ouvre autant, c’est fabuleux! ) les équipes hospitalières ont eu l’ habitude d’annoncer que l’on pouvait installer la femme pour pousser; ceci signifiait qu’allongée sur le dos, celle-ci mettait ses pieds ou ses jambes dans des étriers qui surélevaient ses jambes; on pouvait ensuite, lorsque l’ équipe était prête, commencer à lui dicter, avec plus ou moins d’autorité, comment pousser et comment respirer. Je prends soin ici de définir cette procédure à l’imparfait, car heureusement ces habitudes changent tranquillement. Je vois en effet de plus en plus d’équipes qui attendent que la mère ait elle-même envie de pousser et la laisse suivre ses sensations lorsque tout le monde va bien.
C’est lorsque le bébé touche au périnée de sa mère que celle-ci pousse , généralement, spontanément. Mais avant cela, les os du crâne du bébé épousent le bassin de sa mère. Ça, ça prend du temps.
En effet, la dilatation complète ne signifie pas que la poussée débute. Une fois la dilatation complétée, les os du crâne du bébé se mouleront au bassin de sa mère. Ensuite seulement, le bébé pourra descendre dans le bassin jusqu’à appuyer sur le périnée de sa mère. Physiologiquement, la femme sentira alors ( presque toujours) l’envie de pousser son bébé. Une envie irrépressible, généralement. Parfois un peu plus subtile. Cette étape de moulage du crâne du bébé prend parfois 2 minutes, parfois jusqu’à une à deux heures…et même plus. Selon la position du bébé, si ce bébé est l’aîné ou pas ( cette étape est souvent plus longue pour les premiers bébés), et les positions que prendra la mère. Parfois, cette étape se vivra avec des contractions un peu plus espacées que précédemment, donnant droit à un semblant de repos à la mère avant le grand saut.
Il est plus sécuritaire, lorsque le bébé et sa mère vont bien, de ne pas brusquer la poussée. Les équipes qui envisagent cette étape de moulage feront une surveillance appropriée du bébé, encourageront le libre mouvement de la mère et ne seront pas inquiètes. L’accouchement pourra se poursuivre paisiblement. Si, par contre, nous croyons ( par habitude, ou parce que c’est un peu ce qui a été enseigné depuis des décennies) que la mère doit commencer à pousser dès la dilatation complète et que l’accouchement doit avoir un déroulement linéaire ( contractions toujours plus longues, intenses et rapprochées) nous risquons :
- de perturber dangereusement l’équilibre hormonal de la mère en induisant stress et pression, ce qui peut causer un ralentissement, un arrêt du travail ou la disparition du réflexe de poussée. (Voir ici pour comprendre les effets du stress sur l’accouchement. )
- de diriger une poussée beaucoup plus longue et épuisante que nécessaire, autant pour la mère que pour son bébé
- de considérer cet accouchement dystocique ( progression anormale) et, donc,
- d’envisager l’utilisation d’instruments ( forceps ou ventouses) pour faire naître ce bébé après une durée déterminée.
La Société des Obstétriciens et Gynécologues du Canada (SOGC) a d’ailleurs statué que « la flexibilité dans la prise en charge du deuxième stade du travail (y compris l’adoption d’une position debout (…) et le fait de retarder la poussée lorsque la parturiente n’en ressent pas le besoin) peut également limiter la nécessité d’avoir recours à un accouchement vaginal opératoire. » ( Directive clinique sur l’accouchement vaginal opératoire. http://sogc.org/wp-content/uploads/2013/02/148F-CPG-Aout2004.pdf) Dans sa « Déclaration de principe commune sur l’accouchement normal, SOGC recommande l’élaboration de directives nationales cliniques portant, entre autres, sur « la liberté de mouvement de la mère tout au long du travail » et « les poussées spontanées dans la position privilégiée par la patiente. » (http://sogc.org/wp-content/uploads/2013/02/gui221PS0812f.pdf)
« Chaque sensation expulsive moule la tête du bébé aux contours du bassin de la mère. Cela peut prendre du temps et bien de la patience, spécialement si le bébé est gros. Le moulage de la tête du bébé doit se faire avec la même délicatesse et le même soin que Michel-Ange appliquant du plâtre et moulant une statue. Ce travail de moulage se déroule souvent dans le milieu du bassin et est interprété de façon erronée comme un «manque de progression», «un arrêt» ou un «échec à progresser» par ceux qui n’apprécient pas l’art. Je dis aux mères à cet instant: «il est normal d’avoir la sensation que le bébé est coincé. La tête du bébé s’allonge et se moule un peu plus avec chaque sensation. Il descendra soudainement». » -Gloria Lemay, La poussée pour les mères primipares, Midwifery Today http://www.midwiferytoday.com/articles/pushingfr.asp
Lorsque le bébé atteint le périnée, un enchaînement magnifiquement bien rôdé se passe :
La mère perd ses repères devant ces sensations nouvelles et puissantes; elle a souvent peur; elle sécrète de l’adrénaline. Elle se verticalise souvent, a soif, même faim; elle est active et trouve invariablement l’énergie de pousser son bébé… à sa façon, tout en dormant entre les contractions! Elle prend le temps d’apprivoiser ses sensations, elle apprend.
Le bébé se retrouve très compressé; il sécrète lui aussi une grande dose d’hormones de stress ( noradrénaline). Bien sur, ce doit être intense pour lui aussi; mais voyons-en les effets bénéfiques;
- il trouve lui aussi l’énergie pour participer activement à sa sortie
- facilite grandement son adaptation à la vie aérienne en facilitant sa respiration
- favorise sa circulation sanguine au niveau de son coeur et son cerveau, le protégeant d’un éventuel manque d’oxygène
- stimule son odorat; celui-ci le guidera vers le sein de sa mère et favorisera sa première tétée
- favorisera son acuité visuelle à la naissance; la mère et le bébé savoureront ainsi leur rencontre… entre autres merveilles.
« Et pour « bien » pousser? Il faut bloquer notre respiration, c’est ça? Et combien de temps ça dure, la poussée? »
La poussée, ça dure entre 3 minutes et … 3 heures. En obstétrique, au Québec, une phase de poussée active peut durer jusqu’à +- 2 heures et être considérée normale. Gardons toujours en tête par contre que certaines fois, on calcule le début de la phase de poussée à dilatation complète, et non pas lorsque le réflexe de poussée s’installe chez la mère…
L’important ici est de statuer que chaque naissance est unique, chaque bébé avance à son rythme, chaque femme s’ouvre à son rythme. Les enjeux ne sont pas que physiques, d’ailleurs. Une très grande transition, un grand passage se fait juste avant et pendant la poussée, dans la psychée des mères. Je crois qu’il est primordial de considérer les parents et le bébé dans leur intégrité tout au long de l’accouchement et aussi au moment de la poussée. Nous vivons dans un monde qui a beaucoup décrit, mesuré, craint, surveillé, standardisé l’accouchement. Mais il y a des choses qui s’y vivent secrètement; entre la mère et son bébé, entre la mère et la petite fille qu’elle est, entre elle et ses parents. Beaucoup de tout ça se vit autour de la poussée, à mon avis. Laisser ce dialogue se faire, c’est à mon sens permettre à cette femme de se rencontrer comme mère.
Concernant le comment, le combien, le pourquoi, les étriers… vous l’aurez probablement deviné; je ne crois pas qu’il soit nécessaire ni bénéfique d’enseigner quelque méthode de poussée que ce soit…
Il y a quelques décennies, vos parents ont probablement appris pendant leur préparation prénatale à haleter, retenir, bloquer la respiration… ces conseils ne sont plus donnés aujourd’hui mais ont laissé leurs traces dans l’imaginaire. Certaines équipes travaillent encore en enseignant le « inspirez, bloquez, poussez…encore! ». J’ai par contre été témoin de plusieurs naissances au cour desquelles la mère a respiré comme elle l’entendait, entourée de médecins, d’infirmières ou de sages-femmes confiant(e)s qui savaient que ces bébés naîtraient même sans instructions, même sans efforts de poussée apparents. Dans toutes les positions du monde, de celles qui ouvrent vraiment le bassin et maximisent les efforts de la mère de par leur verticalité. Je les remercie d’ailleurs, ils(elles) sauront se reconnaître 🙂
Je suis convaincue que pendant un accouchement respecté, durant lequel la mère a appris à flirté avec les incertitudes du début du travail, la régularité ( ou non) de ses contractions, l’abandon à ses besoins et à ses mouvements instinctifs, la liberté de raconter, en grognant, en chantant, en soufflant comme elle l’a bien voulu… et bien je suis convaincue que pour peu qu’on lui en laisse la chance ( et le temps), elle trouvera aussi « comment » pousser son bébé. Elle expirera doucement, retiendra parfois, fournira un effort très soutenu d’autres fois. Elle aura peut-être besoin d’un peu de temps. Elle aura peut-être ponctuellement besoin d’être validée. Encouragée un peu à se laisser ouvrir, parfois. Doucement. Elle aura besoin d’être soutenue. Mais elle l’aura appris elle-même, toute seule. Elle en sortira grandie, tout comme son couple en sortira nourri.
Au fait, non. Pas toute seule. Il y a un petit passager aussi qui l’aura guidé. Et ensemble, ils écriront leur propre histoire.
En attendant un futur billet sur les positions de poussée, je vous suggère deux vidéos d’accouchements différents de ceux qui nous sont majoritairement présentés; deux naissances autonomes, dans des positions instinctives; le premier montre une naissance à domicile debout; le second, une naissance en milieu hospitalier durant laquelle la mère est accroupie:)
Bibliographie: I. Brabant, Une naissance heureuse M. Trélaun, J’accouche bientôt, Que faire de la douleur I.M. Gaskin Le Guide de la naissance naturelle M.Odent L’amour scientifié
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